Abraham Kantorowicz à la ferme de la Matelotte (15 janvier 1942). Mémorial de la Shoah/Coll. Serge Kantorowicz 

Abraham KANTOROWICZ
par son fils Serge Kantorowicz

Mon père est né le 6 juillet 1920 à Varsovie et ma mère Esther, à Lodz. Ils sont venus en France le 26 avril 1926 (d’après la fiche d’entrée au camp de Beaune-la-Rolande). Mon père est venu en France avec ses parents, ses frères et sœurs, ma mère également.

Il était ébéniste, sculpteur et travaillait avec son père. De la famille de mon père, je sais peu de choses. Je pense qu’ils étaient d’origine allemande. Mes parents se sont rencontrés rue de Lappe à Paris. Ils habitaient 19 rue Bisson à Paris dans le 20e.

Il avait son atelier au marché Biron où j’ai rencontré des gens qui l’ont connu. Son atelier a été spolié. Mon grand-père habitait rue Trousseau.

Ils ont été déportés peu de temps après leur rencontre. Mes parents se sont mariés en 1941 quand mon père était déjà interné. Il a été arrêté le 14 mai 1941. Il a eu une permission pour aller se marier à Cerdon (Loiret), car il travaillait à la ferme de la Matelotte. Ma naissance est un peu bizarre, je suis né le 15 avril 1942.

J’ai été élevé par ma grand-mère maternelle qui n’avait d’yeux que pour moi. Elle ne voulait rien savoir des Kantorowicz parce qu’à la fin de la guerre, il n’y avait comme survivant qu’une de ses sœurs (il y avait quatre filles). J’habitais rue Sainte-Anastase et je suis allé à l’école rue de Turenne.

Je crois que mon père faisait partie du Bund ou de la M.O.I. C’était le plus jeune des quatre frères. Ils étaient dans la résistance.

C’est grâce au livre de Serge Klarsfeld que j’ai appris par quel convoi il était parti, n° 6, le 17 juillet 1942.

Je ne me désintéresse pas de la mémoire de mon père car ma peinture est un hommage à mon père et à ma mère.

J’ai une photo de mariage d’eux et je trouve ça très bizarre, ma mère est en robe blanche et mon père en smoking. Je sais que ma grand-mère faisait d’abord un mariage religieux.

Ma grand-mère m’a seulement parlé de ma mère qui a été déportée en 1944. Elle était à Grenoble dans la résistance. Les résistants ont dû faire sauter une gare.

Mes grands-parents paternels ont été aussi déportés de France.

On a retrouvé une lettre écrite en 1948 par un ami de mon père, un ancien déporté, qui a dit qu’il était mort en 1944 à Birkenau, suite à des mauvais traitements. Il était dans le block des Sonderkommando.

J’ai pris conscience de ma condition d’orphelin lorsque j’ai vu les noms gravés au Mémorial. Lorsque quelqu’un autour de moi avait ses deux parents, je ne pensais pas qu’il pouvait être juif.

J’imagine mon père comme un bon vivant, faisant des blagues. Il avait fait parvenir un dessin sur une feuille de carnet avec un poème. C’est ce qui m’a fait commencer à dessiner dans des carnets. Pendant pas mal d’années, je ne savais pas ce qu’était la perte ou l’amputation.

Ce n’est pas évident même de savoir. Je me suis accommodé de mes angoisses.

Je savais qu’il y avait des ateliers d’ébénisterie à la Matelotte et je voudrais faire un carnet de dessins à la mémoire de mon père, le suivre rue de Lappe, puis dans le 20e, puis à leur arrivée dans le camp, comme une sorte d’exorcisme.

Mes parents étaient communistes, j’ai été étonné qu’ils aillent se faire enregistrer comme juifs ; ça a “bousillé” ceux qui sont revenus et ceux qui ne sont pas revenus. Mon père serait peut-être devenu un grand sculpteur ou pas, il aurait au moins pu faire quelque chose. Je pense qu’il a appris la sculpture en France. À cette époque, c’était un métier en or. Ce qui est terrible, c’est ce qu’ils ne sont pas devenus.

 

Témoignage recueilli en 2010

 

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ABRAHAM KANTOROWICZ
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 17 juillet 1942 par le convoi 6
Assassiné à Auschwitz en 1944

SERGE KANTOROWICZ
Fils d’Abraham Kantorowicz
le 15 avril 1942