Abram Rochfeld (sd, sl). Archives familiales

Abram ROCHFELD
par ses enfants Jacqueline et Arnold Rochfeld

Abram Rochfeld est né à Varsovie, le 29 juillet 1904. Sa famille était très pauvre. Sa mère cuisinait des petits pâtés et des gâteaux, pour aller les vendre dans les rues, mais Abram devait emprunter les souliers d’une de ses sœurs, car il n’en possédait pas. Il était analphabète. Très jeune, il adhéra au parti communiste polonais (KPP). Ce parti fut fondé par Rosa Luxemburg et Leo Jogiches, ainsi que par la section de gauche du Parti socialiste polonais, minoritaire et internationaliste. Il militait pour la proclamation d’un État prolétaire, la disparition de l’État polonais, la collectivisation des terres et la dissolution de l’armée polonaise. Il soutint l’Armée rouge lors de son offensive sur Varsovie. Le parti fut déclaré illégal, mais il adhéra à la Troisième internationale en mars 1919 et prôna le rattachement de l’Ukraine polonaise à l’URSS, ce qui valut à ses militants d’être poursuivis pour activités sécessionnistes.

Abram Rochfeld fait partie de ces militants et est, à ce titre, arrêté et condamné à mort. Vu son jeune âge (il est mineur), sa peine est commuée. Longtemps, nous nous sommes demandé la raison d’être de notre patronyme complet. Nous nous appelons en effet Rochfeld dit Naszel. Notre mère, morte à l’âge de 68 ans, nous a fourni des explications peu convaincantes. En fait, membre d’un parti clandestin, il bénéficiait d’un pseudonyme, Naszel, qu’il transmit à sa descendance, suite à sa condamnation.

Au contact des intellectuels emprisonnés, il apprend à lire et à écrire, acquiert des notions arithmétiques de base et une culture intellectuelle. En mai 1926, le KPP décide de soutenir le coup d’État de Józef Piłsudski, par opposition au gouvernement de droite. Le nouveau président libère alors des membres du parti, dont Abram Rochfeld. Mieux, il les autorise à présenter dans les lycées leur position. Il intervient dans plusieurs d’entre eux, dont celui où était notre mère. À son opposé, elle était d’une famille juive aisée, commerçante ayant pignon sur rue, possédant un immeuble dans une grande rue de Varsovie. Ils eurent le coup de foudre l’un pour l’autre et décidèrent de se marier contre l’avis de leurs familles et de quitter la Pologne pour la France, décision qu’ils mirent à exécution à la fin des années 20. Ils se marièrent à Paris, en juillet 1930.

Abram Rochfeld exerça diverses activités (peintre au pistolet, manœuvre, OS) dans différents endroits dont le Nord de la France d’où ils furent expulsés plusieurs fois vers la Belgique, faute de papiers les autorisant à résider et à travailler en France. Abram Rochfeld, comme beaucoup de Juifs polonais, avait été déchu de sa nationalité et était considéré comme apatride. Ils regagnèrent Paris courant 1930 et en 1931. Une première fille naquit, Jacqueline. La famille habitait dans un hôtel, aux alentours de la rue Vicq d’Azur, avec toilettes communes sur le palier. Ils avaient de nombreux liens avec la communauté juive du quartier, très solidaire. Abram Rochfeld ne militait plus ou presque depuis son arrivée en France, à part au YASC (Yddish Arbeiter Sport Club), équivalent dans les milieux yiddishophones de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail). Mais peut-être n’eut-il pas le choix. Le soutien à Pilsudski avait été désavoué par l’Internationale communiste et le parti communiste français observait avec beaucoup de rigueur ses directives. De ce fait, il est possible que son adhésion ait été refusée, ce qui expliquerait qu’il se soit contenté du YASC, organisation « de masse » moins tatillonne.

Il continua ses pérégrinations professionnelles et participa en 1936 à l’occupation de son usine sise dans le 19e arrondissement, avenue Simon Bolivar. Jacqueline aidait à son ravitaillement durant cette occupation. La situation de la famille s’améliora grandement en 1937 lorsqu’il obtint son inscription au registre des Métiers, en tant que tricoteur à domicile, dans le 19e arrondissement, près des Buttes-Chaumont. Notre mère le secondait en tant que bobineuse. Nos parents parlaient le yiddish, mais aussi le français, sans accent ou presque.

En 1938, fin juin, les jumeaux de sexe masculin naquirent. Par admiration du parti communiste allemand, notre père dénomma l’aîné Ernest (comme Thälmann, secrétaire de ce parti, emprisonné à Buchenwald et exécuté en 1944 par les nazis) et le benjamin Arnold, moi-même. L’aîné décéda peu après.

En 1939, notre père s’engagea et rejoignit une unité polonaise au sein de l’Armée française. Il participa aux combats de Mai-Juin 1940 et se retrouva à Dunkerque. Il fit partie des 300 000 soldats alliés, ramenés à Douvres. Là, on lui demanda quelles étaient ses intentions. Père de famille, il décida de regagner la France. Il rejoignit Bordeaux, puis Paris durant l’été 1940 et reprit son activité de tricoteur à domicile. Il était apatride. Il s’était engagé en espérant acquérir la nationalité française.

Dans l’après-midi du 13 mai 1941, il reçut un « billet vert » remis par la police française, le priant de se rendre au 52 rue Edouard Pailleron. Il était accompagné de Jacqueline. En tant qu’ancien militant clandestin, il dut se poser des questions. Mais étant père de famille et ancien combattant, il obtempéra à ce qu’il pensait n’être qu’une simple formalité administrative. Ce n’en était pas une et il fut dirigé vers le camp de Pithiviers. Au début, les visites des familles étaient autorisées et nous nous y rendîmes durant l’été 1941. Je me souviens d’avoir aperçu mon père de l’autre côté des barbelés, c’est le seul souvenir que je garde de lui, vu mon jeune âge. (Souvenir d’Arnold).

Notre mère allait à Pithiviers une fois par mois. Notre père y resta jusqu’au 25 juin 1942, date à laquelle il fut inclus dans le convoi 4, comprenant 1000 personnes, à destination d’Auschwitz où il arriva le 27. Selon Serge Klarsfeld, sept semaines plus tard, 557 étaient encore en vie, mais pas notre père qui décéda durant l’été 1942, du typhus semble-t-il, comme nous l’a précisé l’un de ses compagnons de captivité dans les années 1950, seule information que nous avons pu recueillir.

En l’absence de son époux, notre mère continua son activité de bobineuse, activité qui nous permit de subsister. Notre mère, Jacqueline et moi-même, avons quitté Paris en juillet 1942 et nous nous sommes séparés, ma mère se réfugiant à Milly-la-Forêt, Jacqueline en Normandie et moi, Arnold, à Noisy-sur-école, dans une ferme, selon des modalités qui ont été précisées dans le cadre de l’ouvrage sur les enfants cachés, dirigé par Danielle Bailly.

 

Témoignage recueilli en 2008

 

 

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ABRAM ROCHFELD
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 11 juillet 1942 à l’âge de 37 ans

JACQUELINE ROCHFELD
Fille d’Abram Rochfeld
Née en 1930

ARNOLD ROCHFELD
Fils d’Abram Rochfeld
le 29 juin 1938 à Paris 10e