Zwilen et Golda Bezpalczik posant avec leur fille Mireille (sd). Archives familiales

Zwilen BEZPALCZIK
par sa fille Mireille Zak-dit-Zbar

Zwilen Bezpalczik, mon père, est né en 1903 à Luck, petite ville ukrainienne, mais jadis polonaise.

Né dans une famille de pharmaciens, il était enseignant et si l’on se réfère à certaines photographies de lui à l’âge adulte, ne portant ni barbe ni signe extérieur religieux, on suppose que son enseignement était laïc. Lors d’un récent voyage en Ukraine, à la recherche d’éventuelles traces de ma famille paternelle à Luck, j’ai pu apprendre, selon un historien de la ville, que mon père était professeur de langue. De grands amis de mes parents qui l’avaient bien connu m’ont dit qu’à son arrivée en France, il parlait couramment le français, l’allemand, le polonais et le yiddish.

Il était également comédien amateur, interprétant des textes en yiddish qu’il avait lui-même écrits. Arrivé en France en 1933, il habita chez une tante à Aulnay-sous-Bois. Il commença à suivre des cours de mathématiques orientées vers l’électricité à l’école des Arts et Métiers en vue d’un diplôme d’ingénieur. Pour gagner sa vie, il devint parallèlement marchand forain et c’est sur un marché qu’il rencontra celle qui plus tard devint ma mère.

Ma mère, elle-même universitaire, née à Varsovie, était arrivée en France en 1930 en qualité de touriste, avec la ferme intention de ne plus retourner en Pologne. Elle espérait lors de son arrivée à Paris que ses deux frères établis depuis quelques années lui faciliteraient son intégration, ce qui ne fut pas le cas. Elle se résigna à vendre sur les marchés, et ce, en toute illégalité, des chapeaux qu’elle-même avait confectionnés. C’est ainsi que leurs étalages étant voisins, elle se trouva sous la protection de mon père.

Mes parents se marièrent en 1937. Je suis née en juin 1938. Nous habitions un appartement sans confort, au 5e étage, 60 boulevard Ménilmontant à Paris. Mes parents continuèrent à faire les marchés, et mon père sous le pseudonyme de “Gilbert” intégra le théâtre Piat, théâtre juif du quartier de la République.

En 1941, mon père, convoqué par le “billet vert”, se rend au commissariat dans le 20e. De là, il est dirigé vers le camp de Pithiviers. Il ne reviendra plus jamais dans son foyer. Acheminé le 25 juin 1942 par le convoi 4 vers le camp d’extermination d’Auschwitz, il y décédera en 1943.

Durant son internement à Pithiviers, mon père fut l’instigateur du théâtre de ce camp. Il y interpréta, notamment en yiddish, des arrangements sur des textes de Sholem Aleichem. De cet épisode, il me reste son cahier avec l’écriture, sa mise en scène et des photographies de ses compatriotes acteurs improvisés. Curieusement, ma mère ne m’a jamais parlé de cette activité, donc n’a jamais valorisé ce côté artistique.

De cette époque où je n’avais que trois ans, je n’ai aucun souvenir. Ce n’est que bien plus tard que j’ai pris connaissance de cet épisode par le fils des grands amis de mes parents, la famille Cohen, qui habitaient également boulevard Ménilmontant. Au décès de ma mère, j’ai retrouvé, dans ses papiers, un document indiquant qu’elle-même et moi étions allées voir à mon père au camp de Pithiviers. Tout au long de sa vie, ma mère aura évité de me parler de cette tragédie. Ce n’est malheureusement que trop tard que, devenue adulte, se sont posées de multiples questions. La communication entre ma mère et moi, à ce sujet, était devenue taboue.

Durant l’occupation allemande, ma mère et moi avons été cachées séparément, moi à Aulnay-sous-Bois, dans des familles d’accueil dont je garde, pour l’une d’entre elles, de très mauvais souvenirs. Quant à ma mère, elle a survécu avec de faux papiers sous le nom de Jeanne Leduc, née en Bretagne, domiciliée à notre adresse parisienne, mais cachée je ne sais où. Lorsqu’en 1945, âgée de sept ans, je retrouve ma mère, je ne la reconnais pas.
À la Libération, ma mère, veuve, n’a d’autre moyen de subsistance que celui de recommencer à faire les marchés, et je suis alors placée dans une maison d’enfants sous le contrôle de l’OPEJ à Rueil-Malmaison en qualité d’enfant adoptable.

J’ai été heureuse dans cet établissement, j’y ai pratiqué un peu de théâtre et de danse.

À la lecture de documents émanant d’un conseil de famille, il apparaît que malgré une situation financière précaire, ma mère me reprend auprès d’elle. Ses deux frères vivant en France et ayant survécu à la guerre ne l’ont jamais aidée. Curieusement, c’est à l’âge de 68 ans, lors de la constitution d’un dossier auprès de la Claims Conference, établi par une collaboratrice du Mémorial de la Shoah, que j’ai pris connaissance de cet épisode à Rueil- Malmaison.

En 1948, avec l’espoir d’une nouvelle vie, ma mère se remarie. C’est malheureusement un échec et quelques années plus tard, le couple se sépare.

À l’âge de dix ans et revenue auprès de ma mère, j’écris phonétiquement. J’ai probablement appris seulement à lire en maison d’enfants. Je suis allée dans une école privée à Saint-Mandé, mais dans un état de blocage, je ne parviens pas à faire de longues études. Sur ce sujet, je ne serai jamais la fierté de ma mère, ce qui fut, pour moi, une forme d’humiliation. De 14 à 17 ans, je fréquente les Eclaireurs Israélites de France. Après une année d’étude dans une école commerciale, j’entre au journal Combat, j’ai alors 18 ans.

L’absence de mon père, dont à ce jour je n’ai jamais fait le deuil, demeurera une tragédie, partagée hélas avec toute une génération. Jusqu’à l’âge de 40 ans, j’ai espéré son retour. De l’année 1945 me reste le souvenir où, boulevard Ménilmontant devant des rescapés de la Shoah, ma mère et moi sommes restées dans un espoir de…

Lorsque j’ai rencontré mon mari, ce fut pour moi une seconde naissance. Nous avons deux enfants, une fille et un fils. Notre fille, née en 1962, vit en Israël depuis 1981. Elle-même est mère d’une petite fille. Notre fils, médecin, vit à Paris. Si j’ai évité de trop parler à mes enfants de mon angoisse due à l’absence d’un père, ils savent cependant tout ce que je sais de lui. Je possède, placés sur les murs de mon appartement, deux portraits de mon père dessinés au camp de Pithiviers par Arthur Weisz (déporté par le convoi 6).

Je raconte mon histoire pour la première fois, et très complexée, j’ai peut-être besoin plus que d’autres de tendresse.

Ma mère est décédée en 1989 à l’âge de 82 ans.

En mai 2009, mon mari et moi avons fait notre Alya.

 

Témoignage recueilli en 2008

 

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ZWILEN BEZPALCZIK
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 25 août 1942 à l’âge de 39 ans

MIREILLE ZAK-DIT-ZBAR
Fille de Zwilen Bezpalczik
Née en juin 1938