Chaïm et Éva (Chawa) Marmurek et leur fils Émile, né en 1939 (sd, sl). Archives familiales

Chaïm MARMUREK
par son fils Émile Marmurek

Bonjour, mon père que je n’ai pas connu, bonjour mon cher Papa

C’est aujourd’hui, jour de ROCH HACHANA, que je t’écris, je voudrais te parler et essayer de comprendre pourquoi tu avais respecté la parole que tu avais donnée.

Sur tous les documents et souvenirs que j’ai pu recueillir, il semble que tu es arrivé en France en 1932 suivant les traces de ta sœur Toba (Thérèse) qui t’avait précédé et qui se marie avec Georges Schubert. C’est d’ailleurs elle qui deviendra ma tutrice après la guerre.

Tu avais apporté de ton village des environs de Lodz un savoir-faire de tailleur qui fait dire aux gens qui t’ont connu que tu avais des doigts d’or. Tu commences à travailler à gauche et à droite jusqu’au jour où tu décides de t’installer au 5 Passage Saint-Bernard à Paris dans le 11e où tu vivais seul.

À cette époque, les Juifs de Paris essayaient autant que faire se peut de garder le contact entre eux et c’est au cours d’une rencontre que tu fais la connaissance d’Hélène Kornblum née Rosenblat, la femme de l’un de tes amis, qui était arrivée en France aux alentours des années 30. Elle te trouve séduisant, se met à jouer les marieuses et te fait connaître sa sœur Éva.

Aussitôt, ce fut l’amour fou : dès que tu fais sa connaissance, tu en tombes follement amoureux et elle vient te rejoindre définitivement en France à l’occasion de l’exposition universelle de 1937.

Avec l’aide de ta femme, vous décidez de travailler d’arrache-pied à la création d’une affaire qui devint rapidement florissante : devenu confectionneur à domicile, tu employais près de vingt personnes. Puis ce fut 1939, l’année de ma naissance, joie de courte durée car les barbares nazis viennent semer la terreur et la désolation.

Vous êtes restés à Paris malgré les supplications des Kornblum qui, dès le début des hostilités, avaient décidé de partir pour se réfugier dans la région du Mont-Dore.

Tu croyais encore en la justice des hommes et dans le respect de l’être humain et puis, peut-être ne vouliez-vous pas vous retrouver seuls et sans argent avec un bébé sur les bras ?

Si j’ai bien compris, tu continues à travailler sans te cacher jusqu’à cette odieuse convocation du “billet vert” à laquelle tu te rends, pensant que c’était un simple contrôle d’identité.

Hélas, ce fut le drame. La fourberie de l’occupant allemand aidé en cela par la police française fait que tu es transféré et interné à Pithiviers le 14 mai 1941. Je n’ai de toi que ta fiche d’internement dont les détails me donnent encore froid dans le dos : “nervure sur la joue droite, cinq dents “orifiée” (dans le texte), accent étranger”, ces détails n’étaient-ils pas là pour penser qu’il y avait à l’autre bout de la chaîne des détrousseurs de cadavres ?

À Pithiviers, affecté à la baraque 7, tu tentes de communiquer avec ton épouse qui commence un va-et-vient entre Paris et Pithiviers, et là intervient un épisode qui me laisse rêveur et auquel je réfléchis encore : un jour, tu réussis à obtenir une permission et tu promets de revenir.

Devais-tu respecter la parole que tu avais donnée ? Ta parole était-elle la parole perdue ?

Les gens qui t’ont connu et qui ont survécu me racontent que, malgré les injonctions de ton épouse, de tes amis et de tes voisins, tu voulais retourner au camp parce que tu avais donné ta parole et tu ne voulais pas que le gendarme qui t’avait laissé partir soit puni pour ton évasion : tu as mis, ce jour, en balance ta vie contre une punition aléatoire d’un autre. Devais-tu respecter la parole donnée en face de gens qui n’avaient aucun respect pour la valeur humaine ?

Aujourd’hui, il est facile de dire oui, mais je comprends qu’à cette époque, cela devait être totalement différent. Aurais-je agi différemment aujourd’hui ? Je ne le sais pas, peut-être que mon besoin farouche de liberté m’aurait fait prendre un autre chemin avec tous les risques que cela comportait pour nous trois, je ne sais pas, je ne sais pas…

Quoi qu’il en soit, tu es retourné de ton plein gré dans cette fichue baraque 7 que je vois encore sur le porte-plume que tu avais fait fabriquer et sur lequel on voyait aussi nos trois visages.

Puis ce fut le drame de cette solution finale, les Allemands ayant décidé d’éliminer le plus rapidement possible les Juifs qui vivaient en France sous la garde de la gendarmerie française. Tu fus l’un des premiers à partir le 25 juin 1942 par le convoi 4, pour une destination que nous connaissons tous maintenant : AUSCHWITZ, et d’où tu ne revins jamais.

La suite, tu la connais, tu l’as vue de là-haut : maman et moi avons tenté de passer en Zone libre, mais nous fûmes arrêtés et envoyés en camp de triage à Chalon-sur-Saône. Pour moi, ce fut un miracle : la Croix-Rouge me récupère avec, dans mon petit manteau, quelques bijoux et ce porte-plume qui était notre dernier trait d’union. Transféré au centre Guy Patin, je fus recueilli par ma tante Schubert et, grâce au courage d’une voisine, je fus convoyé dans l’Ardèche ou je vécus caché jusqu’à la fin de la guerre, tandis que toi, ma chère Maman, tu fus expédiée à Drancy, puis déportée à AUSCHWITZ le 31 Août 1942 par le convoi 26.

 

Témoignage recueilli en 2010

 

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CHAÏM MARMUREK
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 18 août 1942 à l’âge de 31 ans

ÉMILE MARMUREK
Fils de Chaïm Marmurek
en 1939