Judko Mandelcwajg, au centre avec l’écharpe, au camp de Beaune-la-Rolande (entre mai 1941 et juin 1942, sd). Cercil

Judko MANDELCWAJG
par sa fille Henriette Bagès et son fils Marcel Mandelcwajg

Henriette Bagès, fille de Judko Mandelcwajg

De mon père, Judko Mandelcwajg, je sais très peu de choses. Le livret de famille laissé par ma mère (un duplicata, l’original a été perdu pendant la guerre) m’apprend qu’il est né le 6 février 1905 à Siedlece, Pologne, fils de Chaïm Simon Mandelcwajg et de Syma Soldowska ; il est arrivé à Paris vers 1930. Ma mère racontait qu’ils s’étaient connus en faisant la queue à la Préfecture de Police pour obtenir des papiers.

En Pologne, mon père était fourreur. Quand il s’est installé avec ma mère dans une petite chambre sur cour, au 84 rue des Maraîchers à Paris (20e) où habitait déjà la sœur aînée de ma mère, puis au 71 rue de la Mare Paris (20e) après ma naissance (23 septembre 1934), il a abandonné la fourrure et est devenu monteur en tricot. Mes parents travaillaient tous deux à domicile, après avoir beaucoup emprunté pour acheter deux machines à coudre surjeteuses.

Je suppose qu’ils commençaient à s’en sortir quand la guerre a éclaté.

Le 14 novembre 1939, ma petite sœur est née. Je n’ai pas de souvenir de cette époque.

J’ai su plus tard que mon père s’était présenté dans un centre de recrutement de l’armée française, mais qu’on avait refusé de l’engager pour raison de santé. Je sais aussi qu’il s’est présenté au commissariat de police pour l’enregistrement des Juifs étrangers car, d’après ma mère, il était très légaliste. Il s’est présenté à nouveau à la convocation du 14 mai 1941 et il s’est retrouvé au camp de Beaune-la-Rolande (Loiret). Nous savons maintenant, grâce au Mémorial de la déportation des Juifs de France, qu’il a été déporté à Auschwitz par le convoi 5 en date du 28 juin 1942. D’après un voisin de la rue de la Mare, qui est revenu de déportation (il s’est suicidé des années plus tard, comme Primo Lévi), mon père est mort rapidement de dysenterie.

Avant de quitter Beaune-la-Rolande, mon père a pu voir son fils, mon frère, né le 18 juillet 1941.

De cette visite au camp d’internement, il me reste quelques bribes. Ce devait être en automne 1941 ; mon frère avait environ trois mois. Ma mère est partie seule avec ses trois enfants de trois mois, deux ans et sept ans. En train ? En autocar ? Je ne me rappelle pas. Je me souviens de notre arrivée dans le camp, de la baraque à droite du portail d’entrée, devant laquelle trônait un (ou deux ?) gendarme qui contrôlait les papiers des visiteurs. Des embrassades, des conversations avec mon père, des adieux à la fin de la visite. De notre retour à Paris, il ne me reste rien.

Je me souviens d’une seconde visite au camp, que je fis avec ma tante, la sœur aînée de ma mère (qui l’a beaucoup aidée pendant toute la guerre). Je me revois nettement en train de marcher seule (j’avais sept ans et demi au début de 1942) le long de la haute barrière de fils de fer barbelés qui entourait le camp. J’essayais d’apercevoir mon père, de l’appeler, mais un gendarme en uniforme, fusil à l’épaule, m’a chassée brutalement en me faisant très peur.

Ma mère racontait qu’un cousin (par alliance), interné avec lui, avait proposé à mon père de s’évader, mais que celui-ci avait refusé par crainte de représailles qu’on aurait pu exercer contre sa femme et ses enfants.
Ma mère avait gardé peu de contact avec la famille de son mari, peu nombreuse au demeurant.

Il y avait un cousin à qui nous rendions visite dans l’immédiat après-guerre, dans une maison vétuste du Faubourg-du-Temple à Paris, ou d’une rue voisine.

Il y avait aussi un cousin d’Argentine, artiste peintre, avec lequel, me semble-t-il, j’étais allée voir la Tour Eiffel.

Nous avons longtemps correspondu avec un cousin de mon père, aux États-Unis, à Chicago, puis à Los Angeles. Mais je ne sais pourquoi les lettres se sont arrêtées au milieu des années 1950.

Enfin, mon frère a retrouvé, il y a cinq ans, un autre cousin, Raymond Mandelcwajg, instituteur laïque et républicain, d’ailleurs en son temps révoqué par le régime de Vichy. Son père était le fils d’un frère de notre grand-père paternel. Mais Raymond est mort il y a trois ans, âgé de plus de 80 ans.

C’est peut-être étrange mais, pour moi, la disparition de mon père ne constitue pas un événement personnel, c’est un événement historique. Mon père a été emporté par le vent de l’histoire, sans laisser de trace.

Marcel Mandelcwajg écrit :

Comme l’indique ce témoignage, j’ai “vu” mon père quand j’avais trois mois, donc on ne peut pas parler de souvenir direct. Mais je ne peux même pas évoquer de souvenir indirect car je ne me rappelle pas ma mère mentionnant notre père pendant mon enfance. Je suppose maintenant que c’était une défense pour ne pas sombrer dans le désespoir, alors qu’elle élevait seule, ses trois enfants.

 

Témoignage recueilli en 2012

 

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JUDKO MANDELCWAJG
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 10 août 1942 à l’âge de 37 ans

HENRIETTE BAGÈS
Fille de Judko Mandelcwajg
Née le 23 septembre 1934

MARCEL MANDELCWAJG
Fils de Judko Mandelcwajg
le 18 juillet 1941