La famille Jeger : Szmul et Pesa, enceinte de Pauline, et leur fils Jacques (février 1940). Archives familiales

Szmul JEGER 
souvenirs de ses enfants Pauline Szpeker née Jeger et Jacques Jeger

Szmul Jeger est arrivé en France dans les années trente. Il venait d’une petite ville de Pologne, près de Lublin, Miedzyrzec où il est né le 1er février 1903. C’était un nœud ferroviaire, relativement important, avec une yeshiva connue et un tzadik très honoré. Sa future femme, Pesa Szycker, qui était sa petite cousine, venait d’une famille qui fabriquait des peignes de coiffeur. Szmul, arrivé avant elle, s’installe comme bottier-cordonnier au pied de la butte Montmartre, au 7 rue Nicolet, et sa boutique est citée dans Les allumettes suédoises, le roman de Robert Sabatier. Deux enfants naissent : Jacques en 1937, puis Pauline en 1940. La famille habite au 17 de la même rue, dans un deux-pièces, sans grand confort, mais qui ne manquait de rien. Jacques se souvient de la cordonnerie, il venait y jouer en remplissant des cannettes de bière vides avec des petits bouts de cuir. Une famille juive traditionnelle, sans histoire, qui s’était liée d’amitié avec la famille Brod, des gens plus instruits qui vivaient en face. Tous prêts à s’intégrer à leur nouvelle patrie. D’ailleurs, les deux répondront à la convocation du “billet vert”. Jacques se souvient qu’ils furent convoqués au commissariat de la rue Lambert, là où la famille sera obligée, près d’un an plus tard, de déposer son poste de radio.

Il se souvient également d’un long voyage pour aller à Beaune-la-Rolande : le train, puis une carriole tirée par des chevaux. Pauline, encore petite, n’a aucune image de son père, sinon la photo de février 1940, la dernière de ses parents ensemble, elle n’était pas encore née.

Le reste des souvenirs leur vient des papiers : Szmul Jeger logeait dans les baraques 13, puis 2. C’est là qu’il a connu Rubin Kamioner qui faisait office de coiffeur et avec qui il se lia d’amitié.

Il travaillait dans des fermes à l’extérieur du camp, mais surtout, à ses moments perdus, confectionnait de superbes objets en bois très originaux, au point qu’on venait lui passer commande. Ainsi, il fabriqua plusieurs encriers dont l’un pour son propre fils, Jacques, et l’autre pour le fils de son ami Rubin Kamioner. Les autres sont différents et ont constitué les seuls souvenirs de sa présence. Pendant longtemps, la biche sculptée a trôné sur la cheminée familiale, une jolie biche, en plein élan, les pattes avant repliées, celles de l’arrière fichées dans une boule en bois. Une assiette gravée avec une jeune fille, ainsi que plusieurs planchettes, elles aussi gravées, représentant une jeune femme nue lançant un ballon, ou encore un lion, une boîte à bijoux articulée, autant d’objets familiers, autant de souvenirs de Beaune-la-Rolande témoignant de l’habileté et de la créativité pleine de vie de Szmul.

A-t-il pensé à s’évader ? On ne le saura jamais. Mais son proche entourage pense que oui. Tout d’abord, son voisin de la rue Nicolet et ami, Monsieur Brod. Parlant allemand, il travaillait dans les bureaux et comprit très vite qu’il ne fallait pas rester. Il s’évade et part en zone sud. Rubin Kamioner, le coiffeur, s’évade lui aussi. Il est repris, déporté de Compiègne et a la chance de survivre. Szmul Jeger, le manuel, “l’homme à la biche”, partira comme bien d’autres dans le convoi 5, du 28 juin 1942.

Lors de la rafle du Vel d’Hiv, sa femme et les enfants frôlent la catastrophe. Ils sont relâchés, sauvée par l’âge de Pauline. Les enfants sont mis en sûreté chez Madame Tremelot, une nourrice trouvée par l’OSE à Sarcelles, dans la région parisienne, à la campagne. Madame Jeger passe le reste de la guerre cachée dans l’arrière-boutique du magasin de voisins compatissants, les Astor. Il s’agit d’une arrière-pièce sans lumière, ni chauffage où elle vit cloîtrée, sans autre nourriture que celle qu’on lui apporte. Si ce geste d’humanité lui sauve la vie, elle attrape la tuberculose, soignée après la guerre au sanatorium d’Hauteville, et meurt d’insuffisance cardiaque en 1956.

Jacques et Pauline sont pris en charge dans les maisons de l’OSE, puis remis à leur mère en 1947. Jacques, lui-même tuberculeux, passe deux ans à Leysin en Suisse. Devenu adulte, il n’oublie rien et donne ce qu’il a reçu comme bénévole dans une structure de l’OSE.

 

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SZMUL JEGER
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 27 juillet 1942 à l’âge de 39 ans

JACQUES JEGER
Fils de Szmul Jeger
le 17 avril 1937 à Paris

PAULINE SZPEKER
Fille de Szmul Jeger
Née le 9 octobre 1940 à Paris