Abraham Korenbajzer avec sa fille Aline (sd, 1940). Cercil/fonds famille KORENBAJZER

Abraham KORENBAJZER
par son fils Marc Korenbajzer

Les parents de mon père, Mojzesz et Sura-Dwojra, originaires de Baranow et Konskowola près de Lublin, sont venus de Varsovie en 1926, à Paris, notamment pour des raisons économiques. Mon père, Abraham, l’aîné, né en 1912 à Varsovie comme sa sœur Rivka-Régine, ses frères Raymond et David. Le plus jeune, Henri, est né à Paris en 1927. Ils ont habité d’abord dans une cabane en bois à la porte de Saint-Ouen. Mon grand-père paternel avait acheté la cabane mais pas le terrain. Je dois avoir l’acte de vente. Puis, la situation s’étant améliorée, ils sont allés vivre 75 rue de Montreuil dans le 11e. Mon père a travaillé à son arrivée en France à l’âge de 13 ans comme tailleur.

Ensuite, il s’est marié et s’est installé dans le XXe, rue Bisson. Concernant son arrestation le 14 mai 1941, c’est l’histoire de presque 4 000 Juifs polonais. Comme il n’avait rien à se reprocher, il s’est présenté au commissariat de police des Lilas, avec son “billet vert”. Il a été interné au camp de Pithiviers où on lui a proposé de travailler : à la ferme comme ouvrier agricole à Outarville et à la sucrerie près du camp. Il a accepté car il a toujours travaillé. Comme c’était un bon ouvrier, cela lui a permis non seulement de pouvoir partir un week-end à Paris, mais surtout cela lui a permis de s’évader le 31 mars 1942 vers 15 heures. J’ai retrouvé dans les archives départementales du Loiret le rapport de gendarmerie daté du 1er avril 1942 du commandant du camp, sur son évasion. Mon père s’évada du camp avec une vache pour alibi. Puis il vola la bicyclette d’un gendarme et parcourut à travers champs environ 15 kilomètres. Deux gendarmes le cherchaient à bicyclette. Il prit un train de voyageurs entre Pithiviers et Toury. Les femmes qui étaient venues au marché le cachèrent dans le wagon. Avant d’arriver à Toury, il sortit et prit un billet pour Paris. Il n’avait pas d’argent au camp, un copain du camp lui avait prêté 100 francs. À Toury, les gendarmes circulaient. Il prit peur. Il saisit une fourche et fit semblant de travailler. Il monta dans le train en direction de Paris. À la gare d’Austerlitz, il y avait la Gestapo partout. Il est rentré dans le métro. Il a été un peu suivi. Il arriva chez ses parents à 22 h au 75 rue de Montreuil Paris 11e. Sa mère ne le reconnut pas tout de suite, il pesait 45 kilos. Après son évasion, il n’est pas rentré chez lui, mais il a passé une heure auprès de ses parents car il était recherché.

Ensuite, parti en zone non occupée, il a été arrêté et mis en résidence surveillée en Charente pour défaut de papiers d’identité qu’on lui avait subtilisés le 14 mai 1941. Il travaillait dans une ferme à Chabanais comme charretier. Après Chabanais, il a retrouvé une partie de sa famille à Limoges. Ma tante Rivka-Régine était partie avant la rafle du Vel d’Hiv avec une bonne partie de sa famille paternelle en zone libre à Limoges. Elle avait perdu son mari à Zuydcoote en 1940. Elle vivait avec un compagnon, Maurice, qui a été arrêté, interné à Drancy, puis déporté à Auschwitz dans le convoi 69. Maurice a appris la naissance de son fils pendant son internement et mon cousin Daniel a été néanmoins circoncis à Limoges dans un contexte très difficile. Mes oncles David, 17 ans, et Henri, 15 ans, sont partis dans la résistance. Ma grand-mère paternelle a été dénoncée et arrêtée à Limoges, puis internée dans différents camps du sud de la France pour finir à Gurs. Juste avant la Pâque juive, le 13 avril 1943, du camp de Gurs, elle a envoyé un courrier extraordinaire à ses enfants. J’en suis l’héritier.

Elle avait cousu avec du fil sur le haut de la lettre une maguen David (étoile juive), le symbole du peuple juif ou d’Israël. Puis, sachant que ses enfants étaient en difficulté, notamment mon père, elle leur donna l’espoir en leur écrivant : “Pour les jours de nos grands miracles, il faut avoir encore un peu de patience”. Elle pensait évidemment au seder, au récit de la sortie d’Egypte, et elle croyait que Dieu n’abandonnerait pas son peuple. Ma grand-mère a été libérée miraculeusement du camp de Gurs par l’intervention de l’un de ses enfants qui avait connu un général français lors de son service militaire.

Concernant sa femme et sa fille Aline, j’ai su par ma tante Rivka qu’elle l’avait suppliée de partir avec elle à Limoges, mais qu’elle avait refusé car elle avait sa vieille mère. Aline et sa mère ont été prises dans la rafle du Vel d’Hiv le 17 juillet 1942 rue Bisson, Paris 20e. Elles restèrent au camp de Beaune-la-Rolande jusqu’au 25 août 1942 pour aller au camp de Drancy. Elles étaient parmi les dernières déportées des plus de 9000 Juifs provenant du Vel d’Hiv à partir des camps du Loiret. Aline et sa mère ont été déportées à partir de Drancy le 28 août 1942 dans le convoi n°25 et sont arrivées à Auschwitz le 31 août 1942, jour du troisième anniversaire d’Aline.

Mon père a reçu une photo en décembre 1941 au camp de Pithiviers. On peut lire au dos : “Paris, le 31 décembre 1941 : à mon papa chéri, ta petite Aline”.

Mon père a un peu travaillé à droite et à gauche. Puis avec son frère Raymond, ils ont décidé de rejoindre l’armée française. Ils se sont fait prendre à la frontière espagnole et ont passé 3 mois en prison à Lérida en Espagne. Puis ils ont été échangés avec l’armée française. Mon oncle est entré dans la Légion étrangère et mon père a rejoint les tirailleurs marocains. À ce titre, mon père a fait la campagne d’Italie où il a eu un certain nombre de médailles dont la croix de guerre à Monte Cassino sur le front. Il a fait ensuite la campagne de Provence, puis celle d’Autriche où il est devenu interprète.

Mon père, décédé en septembre 1991, a vécu à Orléans après la guerre et jusqu’à sa mort. À cause de la situation des disparus qui n’était pas officiellement établie, il ne s’est marié avec ma mère qu’après ma naissance, en 1948. Mes parents se sont installés à Orléans en 1950 et ont eu également une fille née en 1958, Dora-Juliette.

Pratiquement, dès le début des commémorations à Pithiviers et Beaune-la-Rolande, après la Libération, mon père assistait chaque année aux cérémonies, le dimanche qui suivait le 14 mai.

Lors de la dernière commémoration, avant son décès, sur le site du camp de Pithiviers, il m’a demandé si je viendrais après lui, chaque année. Je n’ai pas voulu lui promettre.

Quelques jours avant sa mort, le 31 août 1991, le jour anniversaire de sa fille Aline, c’était plus que jamais des sanglots, des cris et le refus d’oublier.

 

Témoignage recueilli en 2011

 

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ABRAHAM KORENBAJZER
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Evadé le 31 mars 1942
Décédé en septembre 1991 à l’âge de 79 ans
 
MARC KORENBAJZER
Fils d’Abraham Korenbajzer
après-guerre